
Dans l’ombre des marchés publics opaques, au détour d’une procédure administrative labyrinthique ou dans l’attribution discrétionnaire de privilèges, un mal ronge silencieusement le potentiel de la Mauritanie. La corruption n’est pas un simple délit économique ; c’est un phénomène systémique qui sape les piliers de la nation, trahit ses valeurs les plus sacrées et hypothèque l’avenir de sa jeunesse. Son éradication n’est plus une option politique, mais une condition sine qua non de survie nationale.
Les dangers sont loin de se limiter aux chiffres détournés. Sur le front social, la corruption est un explosif à retardement. En institutionnalisant l’injustice, elle transforme l’espoir en amertume. Lorsque l’accès à un emploi, une place à l’hôpital ou un contrat dépend de connexions ou de pots-de-vin, le contrat social se brise. Ce favoritisme érigé en système alimente un ressentiment profond entre communautés et classes, menaçant directement le fragile équilibre du « vivre-ensemble ». La paix sociale ne tient pas seulement à l’absence de conflit armé, mais à la perception d’un destin commun et équitable.
Économiquement, c’est un suicide à petit feu. Les ressources détournées sont autant de routes non construites, d’écoles délabrées et de centres de santé sous-équipés. L’investisseur local ou étranger, découragé par un environnement où la règle du jeu est faussée, se retire. La concurrence loyale meurt, étouffée par des monopoles accordés à des proches du pouvoir. Le résultat est sans appel : un appauvrissement collectif et un déni de développement pour des générations.
Lutter contre la corruption en Mauritanie revêt une dimension éthique et spirituelle unique. Comme le rappellent imams et oulémas, l’Islam condamne avec la plus grande fermeté la corruption, lui opposant les piliers de la justice, de la probité et de la reddition des comptes. « Celui qui nous trompe n’est pas des nôtres », est-il rapporté dans les hadiths. Ainsi, combattre ce fléau est un acte de foi. Parallèlement, toutes les juridictions terrestres la criminalisent. Ce double rejet, venant de la Révélation et du droit humain, en fait un interdit absolu et universel. Le tolérer, c’est donc trahir à la fois la nation et ses principes fondateurs.
Les remèdes existent, mais ils exigent un courage politique et sociétal qui va bien au-delà des déclarations d’intention.
– L’indépendance des Institutions est une nécessité vitale : Il est illusoire de croire en une lutte efficace sans une Justice totalement affranchie des pressions du pouvoir exécutif. Cela passe par des nominations transparentes, une protection statutaire des magistrats et des moyens conséquents. L’Office Central de Répression de la Corruption (OCRCP) et la Cour des Comptes doivent devenir des forteresses d’intégrité, dotées d’un mandat clair, de pouvoirs d’investigation étendus et d’une autonomie budgétaire réelle.
– La révolution de la transparence est à cet effet nécessaire : L’opacité est l’oxygène de la corruption. La digitalisation intégrale des services administratifs limite les contacts arbitraires. La publication en ligne, en open data, de tous les marchés publics, de l’attribution à l’exécution, est cruciale. Les déclarations de patrimoine des responsables doivent être vérifiables et accessibles, sous le contrôle d’une autorité indépendante. Enfin, protéger les lanceurs d’alerte par une loi robuste est essentiel pour faire éclater les scandales.
– L’éveil des consciences citoyennes : L’État ne peut agir seul. La lutte commence à l’école, par l’enseignement des valeurs civiques et du coût réel de la corruption. Une presse libre et responsable est un contre-pouvoir indispensable. La société civile et les leaders religieux doivent se mobiliser pour dénoncer les pratiques, briser l’omerta et créer une culture du refus du bakchich.
– L’Exemplarité ou le Néant : Tout le dispositif s’effondre sans une volonté politique visible et implacable. L’exemplarité doit venir du sommet. Il faut des procès retentissants et impartiaux visant des personnalités influentes, sans distinction de clan, d’affiliation ou de rang. La population ne croira plus aux discours si les "intouchables" le restent.
Vaincre la corruption en Mauritanie dépasse le cadre d’une politique publique. C’est un impératif existentiel pour construire un État de droit où la confiance remplace la défiance, où le mérite surpasse le piston, et où les richesses du pays servent enfin son peuple. C’est le combat fondamental pour la dignité nationale, la paix durable et une prospérité partagée. L’enjeu n’est pas seulement de développer la Mauritanie, mais de la sauver de sa propre déliquescence. Le temps n’est plus aux diagnostics, mais à l’action courageuse et concertée. L’avenir de la nation en dépend.
Seyid Mohamed Beibakar
Colonel à la retraite






