
Dans un débat récent sur le rôle de l’Islam dans la cohésion des peuples, certains soutiennent que l’Islam ne constitue pas un ciment d’unité, invoquant des exemples de fractures dans d’autres pays musulmans. Cette position, défendue notamment par Samba Thiam dans une vidéo largement partagée où il utilise des exemples qu’il croit éloquents, mérite d’être nuancée, surtout lorsqu’elle est énoncée par un musulman, et appelle à une réflexion approfondie sur la spécificité du cas mauritanien.
Tout d’abord, affirmer que l’Islam n’est pas un facteur d’unité revient à ignorer des siècles d’histoire où la religion a structuré des sociétés, forgé des identités communes et facilité le vivre-ensemble. Pour un croyant, nier ce rôle peut interroger sa compréhension même des principes islamiques de fraternité (oukouwwah) et de justice sociale. L’Islam, dans son essence, promeut l’unité de l’oumma tout en respectant les diversités culturelles. En rejeter la dimension unificatrice, c’est peut-être confondre l’idéal religieux avec les instrumentalisations politiques dont il peut faire l’objet.
Ensuite, les exemples souvent cités pour étayer cette thèse – comme ceux repris par Samba Thiam, à savoir la séparation du Bangladesh et du Pakistan, la partition du Soudan, ou les conflits au Kurdistan irakien et au Darfour – sont malheureusement dénudés des raisons profondes qui les expliquent et ne sont pas transposables à la Mauritanie. Le Bangladesh s’est détaché du Pakistan pour des raisons géographiques, linguistiques et politiques, liées à un éloignement physique et à une marginalisation économique. La division du Soudan fut largement alimentée par des décennies de mauvaise gouvernance, d’inégalités régionales et de conflits ethnico-politiques, bien plus que par la religion en tant que telle. Quant aux Kurdes ou aux communautés du Darfour, ils revendiquent une territorialité historique distincte, ce qui n’est pas le cas en Mauritanie.
La spécificité mauritanienne réside précisément dans un tissu social ancien, où les populations – qu’elles soient arabo-berbères (Beydane), harratines, ou des groupes africains tels que les Peuls, les Soninkés et les Wolofs – ont toujours partagé les mêmes espaces, les mêmes ressources, et souvent les mêmes destinées historiques. Contrairement à des régions où les clivages territoriaux coïncident avec des identités ethniques ou religieuses, la Mauritanie a vu ses différentes communautés prêter allégeance, au fil des siècles, aux mêmes émirats et entités politiques qui se partageaient l’influence sur ces territoires. Les liens de voisinage, d’échange, et parfois de parenté, ont tissé une interdépendance profonde que les périodes de tensions n’ont jamais totalement rompue.
L’Islam, dans ce contexte, a souvent servi de référentiel commun, de langue spirituelle et juridique partagée, même si ses interprétations et ses pratiques peuvent varier. Les écoles juridiques (malékisme en majorité), les confréries soufies, les rituels communs ont créé un socle de valeurs et de normes qui facilite le dialogue intercommunautaire.
Cela ne signifie pas que la Mauritanie soit exempte de défis : les discriminations sociales, les inégalités économiques et les questionnements sur la place des langues et cultures non arabes restent des sujets sensibles. Mais ces défis sont davantage socio-économiques et politiques que religieux. Les réduire à une fracture que l’Islam ne parviendrait pas à dépasser serait une erreur d’analyse.
En définitive, invoquer des exemples étrangers, comme le fait Samba Thiam, pour nier le rôle unificateur de l’Islam en Mauritanie relève d’un contresens historique et sociologique. La force du modèle mauritanien – bien qu’imparfait – réside dans cette capacité à maintenir, grâce à des référents communs dont l’Islam est un pilier, une coexistence séculaire entre des communautés diverses. Plutôt que de rejeter ce ciment, il serait plus constructif de travailler à le renforcer, en promouvant une lecture inclusive de la religion, en luttant contre les injustices, et en célébrant la richesse de la diversité mauritanienne.
L’unité ne se décrète pas, elle se cultive. Et en Mauritanie, elle a, depuis longtemps, des racines spirituelles et historiques qu’il convient de reconnaître et de préserver.
Seyid Mohamed Beibakar
Colonel à la retraite







